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En revenant du scénario, Teresa se retrouva dans le décor familier de l’une des alcôves de récupération de l’ExEx. Le fait de revenir à la réalité après un scénario et la décharge sensorielle qu’il impliquait demandait toujours un long moment de réajustement, un sentiment d’incrédulité face à ce qui l’entourait. Mais jusque-là, elle n’avait jamais vécu de retour aussi inquiétant.

Teresa s’assit sur le banc, les jambes pendantes, et fixa la moquette en pensant à Grove et aux problèmes qui pouvaient découler de son intrusion.

Une technicienne du nom de Sharon fit son apparition et se chargea de retirer et valider les nanopuces. Teresa se retrouva immédiatement accaparée par les tâches routinières de cette entreprise collective qu’était l’ExEx. Sharon l’amena à la caisse et attendit que la machine crache les papiers ad hoc. Mais au lieu de produire rapidement un reçu confirmant la restitution des puces avec une facture de carte de crédit, cette fois-ci, un message apparut sur l’écran à cristaux liquides : de là où elle se trouvait, Teresa ne put voir ce qu’il disait.

Sharon décrocha son téléphone et y tapa plusieurs chiffres. Il y eut un silence, puis elle récita un numéro de code. Finalement, elle jeta un coup d’œil à Teresa et dit :

« Merci. Je vais vérifier.

— Quel est le problème ? demanda Teresa.

— Une incertitude sur la date d’expiration de votre carte de crédit. »

Sharon appuya sur un des boutons du clavier, et un morceau de papier s’extirpa de la fente. Elle l’en arracha.

« Est-ce que, par hasard, vous auriez votre carte sur vous ?

— C’est toujours la même, répondit Teresa, mais elle la chercha néanmoins dans son sac. C’est celle que j’ai toujours utilisée. La fille du guichet l’a validée et, jusque-là, tout s’est bien passé. »

Elle trouva sa carte Visa à l’effigie de la Baltimore First National et la tendit à Sharon, qui l’examina de près.

« Oui, c’est bien ce qu’ils m’ont dit. Ce n’est pas la date d’expiration qui cause problème. Tout va bien. C’est la date « valide à partir de » qui cause problème. » Elle leva le rectangle de plastique pour que Teresa puisse lire les inscriptions. « Vous l’avez utilisée trop tôt. Elle ne sera valide que dans deux mois. Vous avez toujours l’ancienne ?

— Quoi ? Laissez-moi regarder. »

Teresa prit la carte qui comprenait bien les deux dates embossées dans le plastique. Tout lui semblait normal ; cela faisait des mois qu’elle s’en servait sans le moindre problème. Elle y réfléchit un instant. Elle avait été validée à partir d’août de l’année d’avant, et ils étaient en février. Comment pouvait-elle n’être valable que dans deux mois ?

Elle la glissa dans son sac.

« Je vous en donne une autre », fit-elle en évitant de regarder Sharon.

Elle fouilla dans son portefeuille et trouva sa GM Mastercard. Mais avant de la tendre à la jeune femme, elle vérifia les deux dates de validité ; l’instant présent se situait bien quelque part entre ces deux dates.

Sharon effectua son propre examen avant de dire :

« C’est bon. »

Et la transaction se poursuivit normalement.

 

Avant de quitter le bâtiment, Teresa se rendit aux toilettes et s’appuya à un lavabo pour jeter un regard atone dans les profondeurs du bassin de plastique. Elle se sentait vidée, à bout de forces. La session ExEx d’aujourd’hui avait été longue et, vu l’horreur que lui inspirait Grove, plus inquiétante qu’à l’ordinaire. Elle osait à peine considérer les conséquences de ce qu’elle avait fait.

Elle battit en retraite alors que d’autres pensées envahissaient son esprit, une foule de considérations triviales, une réaction contre la tension de ces dernières heures.

Elle avait des détails pratiques à régler. D’abord, il lui fallait confirmer son vol de retour ; elle n’avait pris qu’une réservation prévisionnelle et devait contacter l’agence de voyages. Puis elle devait faire ses bagages et régler sa note d’hôtel. Se rendre à l’aéroport de Gatwick, arriver avec assez d’avance pour pouvoir restituer sa voiture de location, enregistrer ses bagages, passer les contrôles, traîner dans le hall des départs, acheter des livres et des revues dont elle n’avait pas vraiment envie. Il y avait toujours un long délai d’attente avant qu’on ne vous laisse monter dans un avion – bien que ce moyen permette de gagner un temps considérable, sinon personne ne voyagerait ainsi. Avant de quitter l’Angleterre, elle devait aussi contacter son chef de section ou, au moins, laisser un message à son bureau. Son intuition lui soufflait que, lorsqu’elle y arriverait, il y aurait pas mal de problèmes à régler. Et tout ça pour une heure de passion avec Ken Mitchell : le jeu en valait-il la chandelle ? Teresa se peigna et scruta ses propres yeux dans le miroir. Il fallait aussi qu’elle achète des souvenirs, des cadeaux pour son entourage. Elle se demanda s’il lui restait le temps de faire les magasins de la Vieille Ville avant qu’ils ne soient tous fermés.

Elle consulta sa montre.

Il y avait un os. Combien de temps avait-elle passé dans le scénario de Grove ? Qu’est-ce qui avait changé entre-temps ?

Les toilettes étaient propres et fraîches, les murs d’un gris fonctionnel. Le rugissement assourdi de l’air conditionné émanait d’une grille sur le mur, à côté de la porte ; il lui parut étonnamment sonore. La clarté éblouissante du soleil jaillissait par un soupirail creusé dans le toit voûté au-dessus d’elle.

Teresa se rappela soudain Grove, mais ce souvenir déclencha un tel accès de panique qu’elle le repoussa aussitôt. Durant tout ce temps qu’elle avait passé en Angleterre, elle n’avait cessé de tourner autour du problème Grove, et maintenant qu’elle l’avait enfin abordé de front, elle battait en retraite.

Tout ce qu’elle voulait, c’était rentrer chez elle et tenter de reprendre son existence sans Andy. Elle se demanda ce qui pouvait bien se passer là-dehors, dans le monde chaotique que Grove avait créé. Elle lui avait appris à tirer. Si elle ne lui avait pas montré comment tenir une arme, cette femme et cet enfant seraient peut-être encore en vie.

Non ! se dit-elle. Ce n’est pas vrai. Rosalind Williams et son petit garçon avaient été tués par Grove huit mois avant son intervention. Le jour où cela s’était produit, elle se trouvait à Richmond, Virginie, à des milliers de kilomètres de là. C’était une certitude vérifiable et enregistrée. Ce qu’elle avait vu n’était qu’un scénario, une recréation de cet événement que, en prenant la position d’observateur, elle avait influencé – en apparence du moins.

Elle avait appris à Grove comment tenir un revolver. Vous parlez d’un progrès.

Elle répondit à ces pensées indésirables par un nouveau flot de soucis beaucoup plus personnels : devrait-elle vendre la maison de Woodbridge pour prendre un appartement à Baltimore ou Washington, ou bien s’éloigner de cette zone ? Elle avait de bons amis qui habitaient Eugène, Oregon ; peut-être ferait-elle mieux de s’en aller très loin de son ancien habitat, partir pour le Nord-Ouest, au bord du Pacifique. Entre-temps, devait-elle conserver son emploi au Bureau, demander un transfert vers un autre poste, une autre section ? Ou peut-être avoir recours au – comment l’appelaient-ils ? – au SORA. Le Système optionnel de retraite anticipée. La direction du Bureau en parlait comme si ce système devait régler d’un coup tous leurs problèmes de finances, de déploiement, de sureffectifs, et tous les autres troubles administratifs qui faisaient l’objet de nombreux mémos à destination des sections.

En refermant son sac, elle leva à nouveau les yeux et, par inadvertance, se vit telle qu’elle était. Elle aurait dû y être préparée, puisque depuis cinq minutes elle ne cessait de se regarder dans le miroir, mais à cet instant elle vit le reflet d’une femme entre deux âges assez volumineuse, dont les cheveux châtains viraient peu à peu au gris, dont le visage ne ressemblait pas à celui dont elle se souvenait – et dont elle préférait ne pas se souvenir. Là, engoncée dans son anorak à carreaux bien chaud, prête à affronter le froid de l’extérieur, elle se demanda, qu’ai-je fait des meilleures années de ma vie ? Sont-elles vraiment passées si vite ?

Elle traversa la réception, le regard braqué droit devant elle, et remonta la fermeture Éclair de son anorak en se demandant si elle devait mettre le capuchon.

« Au revoir, Paule, dit-elle à la réceptionniste. À la prochaine.

— Au revoir, madame… est-ce qu’il s’est mis à pleuvoir ?

— Pleuvoir ? Je ne sais pas. »

Teresa poussa les portes et passa sur le porche de béton.

La chaleur qui s’élevait du tarmac calciné l’enveloppa immédiatement. Le soleil brillait haut dans le ciel. Teresa, stupéfaite, regarda autour d’elle ; les arbres étaient couverts de feuilles, la surface de la mer brillait au loin comme une plaque d’argent, une douce brume de chaleur caressait la ville. Les rares nuages planaient loin sur l’horizon, au-dessus des côtes françaises. Les deux jeunes femmes qui marchaient sur le trottoir étaient en short et tee-shirt.

Teresa dégrafa et retira son anorak. Ce matin, lorsqu’elle s’était rendue au bâtiment ExEx, un vent froid venu de l’est balayait la côte, chargé de glace et de pluie froide. Elle se souvint avoir quitté sa voiture au pas de course, tête baissée pour lutter contre les bourrasques, puis, une fois arrivée à la réception, elle avait secoué son anorak pour en déloger les gouttes de pluie et s’était essuyé le visage. Et maintenant, l’été battait son plein.

 

Elle chercha sa voiture des yeux. Ce matin-là, ce matin d’hiver, elle avait dû se garer contre le trottoir, à quelque distance de là. Elle se dirigea vers l’endroit où elle l’avait laissée, mais à la place de son Escort trouva une Montego bordeaux. Ses deux roues avant avaient escaladé le trottoir et reposaient sur l’herbe.

Sa propre voiture de location n’était pas dans les parages.

Teresa se dirigea vers la Montego. Sur son flanc gauche, il y avait une longue trace de peinture qui s’étendait le long des deux portes et une bosse profonde mêlée d’écorchures blanches là où elle avait heurté quelque chose de solide. Lorsqu’elle regarda par la vitre du côté du conducteur, elle vit une radio de bord toujours reliée par ses fils, mais arrachée à son logement, puis rejetée dans un coin et pendant sous le tableau de bord.

Teresa tenta d’actionner la poignée ; la portière s’ouvrit du premier coup. Malgré la chaleur, une sueur froide lui glaça l’échine, et elle tendit la main vers l’ouverture du compartiment à bagages. Elle perçut le déclic de la serrure, puis alla ouvrir le coffre.

Là, sur le tapis de sol, gisaient un fusil semi-automatique et un revolver, accompagnés de plusieurs boîtes de munitions ; l’une d’entre elles s’était ouverte, et une poignée de cartouches s’étaient répandues par terre. Elle reconnut le revolver : c’était le colt avec lequel Grove, et elle-même, avait tué Mme Williams et son fils dans les bois. Elle n’avait pas bien regardé le fusil pendant que Grove le manipulait, mais maintenant elle reconnaissait un fusil d’assaut M16.

Teresa claqua le coffre et resta là, à fixer la peinture vernie de la voiture, en essayant de réfléchir. Le soleil martelait son cou. À nouveau, elle fut tentée de battre mentalement en retraite devant les conséquences de ses actes.

Elle était entrée dans ce scénario, l’avait partagé avec Grove. C’était un scénario ExEx standard. Dans ce scénario ExEx standard, elle avait montré à Grove comment se servir de ses armes ; peut-être aurait-il malgré tout tiré dans le tas, peut-être avait-il juste raté sa cible la première fois, peut-être n’était-il pas aussi incompétent qu’elle le croyait, peut-être aurait-il tiré au hasard, balle après balle, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Peut-être se cherchait-elle des excuses, tout simplement.

Bon, d’accord : dans la réalité, Grove avait bel et bien tué ces deux-là : Rosalind Williams et son fils de quatre ans, Tommy. Elle avait vu leurs noms sur le monument aux morts commémorant l’accident, visionné des vidéos montrant le lieu du crime, lu les archives des journaux et s’était entretenue avec le mari de Mme Williams et d’autres personnes qui l’avaient connue.

Mais avant qu’elle ne lui apprenne à tirer, Grove était totalement incompétent. Il tenait son arme lourde et sophistiquée comme un gamin qui manipule un jouet. Du moins dans le scénario.

Si clic n’avait pas agi ainsi, que serait-il arrivé aux deux victimes ? Du moins dans le scénario.

Teresa se détourna de la Montego, posa ses fesses contre le pare-chocs et regarda en contrebas, vers la mer, si lointaine. La ville était baignée de brume, mais ses contours restaient distincts : la ligne de collines basses qui s’étendaient à gauche comme à droite pour former le Ridge, les maisons toutes semblables qui s’alignaient en rangées monotones et, plus bas, les bâtiments plus anciens et plus agréables à l’œil de la Vieille Ville, puis enfin la mer, vaste étendue d’un bleu argenté, et les nuages qui survolaient la France. Tout cela s’étendait devant elle à l’infini, si tentant.

Le reste de l’Angleterre, les mers et le ciel immense, le monde entier, étalé tout autour d’elle. Elle ne mettrait pas longtemps à gagner Douvres ou Newhaven et, de là, elle pouvait prendre un ferry pour la France et subséquemment le reste de l’Europe. Si elle se dirigeait de l’autre côté, après un trajet un peu plus long, ce serait l’aéroport de Gatwick et l’avion qui la ramènerait chez elle. Il n’y avait pas d’extrêmes pour réduire son horizon.

Mais cette réalité n’était pas celle qu’elle avait laissée. On était en été ; dans les rues, les gens roulaient avec les vitres baissées, les toits ouvrants rabattus et les ventilateurs inefficaces mis à fond. Les piétons portaient des shorts et des maillots très courts. Les portes des maisons et des magasins restaient ouvertes. En hiver, en Angleterre, le soleil ne brillait pas comme ça ; elle n’était pas dans le même univers que celui où elle s’était réveillée ce matin, où elle était montée jusqu’ici, où elle avait dû se dépêcher, où elle avait secoué son anorak, tout cela le matin même.

C’était un scénario ExEx standard, rédigé par la compagnie à qui appartenait le bâtiment ExEx. Ce scénario ExEx standard était indubitablement celui de Grove et se déroulait ce jour même. Des extrêmes standards ; une réalité industrielle. Les scénarios de GunHo suivaient les canons établis par toutes les compagnies de ce genre.

Mais Grove était allé plus loin en employant d’autres logiciels. Teresa, fatiguée de côtoyer son esprit malade, l’avait laissé incarner Shandy dans son rôle d’actrice porno ; un couple bien mal assorti. Il y était probablement encore et profitait à fond de ce qui, pour un homme, était une expérience inédite.

Elle se souvint avoir parcouru Coventry Street dans l’esprit de Shandy alors qu’elle lui soutirait des informations sur son mode de vie. Ce logo clignotant, SENSH, apparaissait toutes les trente secondes environ.

« Ça ne te fait rien, Shan ? avait-elle demandé.

— Non, avait répondu Shandy, au bout d’un moment, on finit par s’y habituer. »

Et là, lorsqu’elle était sortie du scénario, c’est ce même message de fin qui lui était apparu.

Le scénario dans lequel elle était entrée, ce scénario GunHo standard sur Grove, n’était pas celui qu’elle avait abandonné : elle se trouvait dans le logiciel fabriqué par Vie, avec ses bribes d’Arizona et de Londres rivetées à divers emplacements, avec ses mauvaises blagues et ses erreurs d’orthographe.

Lorsqu’elle en était sortie, elle s’était retrouvée dans le bâtiment ExEx de Bulverton. Mais c’était par une chaude journée d’été semblable à celle où Grove avait pété les plombs.

C’était logique, bien sûr. Lorsque Grove était entré dans le scénario de Shandy, il l’avait emportée avec lui, et sa seule porte de sortie était la réalité qu’elle venait de quitter.

Cette carte de crédit était trop neuve pour être valide ; cette froide journée d’hiver s’était muée en vague de chaleur ; la Montego était garée à la place de sa voiture à elle.

Elle était toujours dans le scénario de Grove.

Ce qui entraînait des implications dérangeantes et impossibles à appréhender dans leur intégralité, mais au moins elle savait ce qu’il convenait de faire. Teresa n’avait jamais ressenti un tel désir presque frénétique d’échapper à un scénario. Elle se souvint du mnémonique LIVER et attendit que le logo GunHo apparaisse, signalant la fin prématurée du scénario.

 

Teresa resta dans Welton Road, devant le bâtiment ExEx, près de la voiture volée luisant sous les rayons du soleil. Rien n’avait changé.

 

À sa connaissance, ce mnémonique n’avait jamais échoué, ni pour elle ni pour les autres – quoi qu’en dise Dan Kazinsky, qui affirmait aux jeunes recrues qu’il fallait s’en méfier et qu’il n’était pas infaillible.

Teresa, choquée, se concentra néanmoins sur ce qui venait de se produire. Un jour, à l’académie, un professeur de psychologie venu de l’université John Hopkins leur avait donné un cours particulièrement long et technique. Cette femme à la voix sèche leur avait expliqué la théorie de la connexion mentale avec un univers imaginaire. Plus tard, certains bleus admirent – en privé – qu’ils n’avaient pas tout suivi, mais pas Teresa, qui avait bu ses paroles.

Selon ce principe psychologique, chaque individu désirait, au niveau inconscient, donner des bases solides à la perception qu’il avait de la réalité. Les sens humains ne cessaient de mettre à l’épreuve la véracité du monde qui les entourait pour envoyer silencieusement leurs conclusions à la conscience de l’individu. Tout était en ordre. Donc, un scénario ExEx ne pouvait fonctionner qu’en tant qu’alternative à peu près plausible à la réalité en stimulant les informations sensorielles, du moins tant que le participant y consentait de façon plus ou moins implicite. Ce qui signifiait que reconnaître, isoler et rejeter sciemment l’une des stimulations sensorielles simulées était le seul moyen de sortir d’une expérience extrême.

Cette explication magistrale fut suivie d’une série de questions et de réponses, puis d’un bref entracte accompagné de rafraîchissements. Plus tard, après le départ du professeur, Dan Kazinsky devait déclarer :

« Il faut que vous sachiez une chose : parfois, on peut rester coincé là-dedans. Ce mot de passe ne fonctionne pas à tous les coups. Il y a une autre porte de sortie, et vous devez la connaître. »

Il leur expliqua donc le système de connexion manuelle qui faisait partie intégrante de la valve elle-même.

Teresa passa ses mains derrière son cou, localisa la valve et tâtonna en cherchant le minuscule interrupteur caché derrière un pli rigidifié de l’appareil. Lorsqu’elle l’eut trouvé, elle chercha à retirer le morceau de plastique du bout de l’ongle sans pour autant se blesser.

À part lors d’un entraînement à Quantico, supervisé par l’agent Kazinsky, elle n’avait jamais rien fait de tel. Teresa découvrit que le gadget était plus difficile à actionner qu’elle ne l’aurait cru, et elle dut s’y reprendre à deux fois. Lorsque le petit levier céda enfin, Teresa se crispa, prête à subir le choc découlant d’une telle sortie en catastrophe.

 

Teresa resta sur Welton Road, devant le bâtiment ExEx, adossée à la voiture de Grove, sous la chaleur d’un soleil estival. Rien n’avait changé.

Elle passa sa main dans son dos, palpa la valve ExEx et chercha à nouveau le minuscule interrupteur caché derrière un pli rigidifié de l’appareil. Lorsqu’elle l’eut trouvé, elle retira le plastique de la pointe de l’ongle et remit l’interrupteur dans sa position initiale.

Un jour, il y avait des années de cela, Teresa conduisait de nuit dans le centre-ville de Baltimore, dans la zone située au nord de Franklin Street, un coin qu’elle connaissait très bien. Elle ne faisait pas attention à son chemin et se trompa de rue. Comme elle croyait savoir où elle se trouvait, elle continua de rouler vers la résidence de ses amis, trouva une place et se gara. C’est alors qu’elle prêta enfin attention à son entourage et réalisa sur-le-champ qu’elle n’était pas au bon endroit ; et pourtant, son esprit s’entêtait et lui soufflait que c’était impossible. Elle s’y était déjà rendue plusieurs fois et connaissait bien le coin. Or, là où aurait dû se trouver la porte de l’immeuble qu’habitaient ses amis, il y avait deux petits magasins ; de plus, les réverbères n’étaient pas là où ils auraient dû et les bâtiments d’en face étaient trop grands, trop décrépits. Durant quelques secondes, Teresa avait été convaincue de deux faits à la fois tout en sachant qu’ils étaient résolument contradictoires. Une sensation fort dérangeante : elle savait qu’elle n’était pas au bon endroit et, simultanément, était sûre de ne pas se tromper.

Maintenant, alors que cette chaude journée d’été se déroulait autour d’elle, que la clarté du soleil l’éblouissait, que la chaleur qui s’élevait du béton l’étouffait, Teresa connut le même conflit. Si elle ne pouvait sortir du scénario, c’était donc qu’elle était bel et bien là, le jour du massacre.

Mais c’était impossible ; les faits s’étaient déroulés huit mois plus tôt.

Son front s’ourlait de sueur, et des torrents liquides dégoulinaient le long de ses tempes : elle défit les deux derniers boutons de son chemisier et souleva légèrement le tissu pour s’éventer et se rafraîchir un peu. Elle trouva un mouchoir en papier et s’essuya le front sans grand effet. (Le mouchoir était déjà humide ; était-ce celui avec lequel elle s’était séché le visage ce matin, alors qu’elle se remettait de la température arctique ?) Là, debout dans la rue, elle pouvait difficilement retirer ses vêtements les plus chauds : son jean trop serré et le gros collant qu’elle portait au-dessous. Elle avait apporté des habits moins étouffants, mais ils étaient à l’hôtel, dans une de ses valises, elle-même bouclée et prête à prendre l’avion.

Teresa, perplexe, regarda la voiture que Grove avait abandonnée, fronça les sourcils, puis retourna vers le bâtiment ExEx.

Les Extrêmes
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